Réflexions sur la guerre d'Espagne
George Orwell
Orwell rapporte une conversation qu'il a eue avec Koestler sur le totalitarisme en général, mais plus particulièrement à la guerre civile espagnole
" Je
me rappelle avoir dit un jour à Arthur Koestler: «L'histoire s'est
arrêtée en 1936», ce à quoi il a immédiatement acquiescé d'un hochement
de tête. Nous pensions tous les deux au totalitarisme en général, mais
plus particulièrement à la guerre civile espagnole. Tôt dans ma vie,
j'ai remarqué qu'aucun événement n'est jamais relaté avec exactitude
dans les journaux, mais en Espagne, pour la première fois, j'ai vu des
articles de journaux qui n'avaient aucun rapport avec les faits, ni même
l'allure d'un mensonge ordinaire. J'ai lu des articles faisant état de
grandes batailles alors qu'il n'y avait eu aucun combat, et des silences
complets lorsque des centaines d'hommes avaient été tués. J'ai vu des
soldats qui avaient bravement combattu être dénoncés comme des lâches et
des traîtres, et d'autres, qui n'avaient jamais tiré un coup de fusil,
proclamés comme les héros de victoires imaginaires ; et je voyais à Londres des journaux qui rapportaient fidèlement ces mensonges et des intellectuels enthousiastes bâtissant des superstructures émotionnelles à partir de ces évènements fictifs. J'ai vu, en
fait, l'histoire rédigée non pas conformément à ce qui s'était
réellement passé, mais à ce qui était censé s'être passé selon les
diverses «lignes de parti». Mais là n'était pas le pire, car cela concernait des questions secondaires comme la lutte pour le pouvoir qui opposait le Komintern et les partis de gauche, et les efforts du gouvernement russe pour empêcher la révolution en Espagne [ ... ]. Ce genre de choses me terrifie,
parce qu'il me donne l'impression que la notion même de vérité objective
est en train de disparaître de ce monde. Après tout il est fort possible que ces mensonges ou du moins des mensonges semblables passeront dans l'histoire [ ... ]. À toutes fins utiles,
le mensonge sera devenu vérité [ .. .].
L'aboutissement implicite de ce
mode de pensée est un monde cauchemardesque dans lequel le Chef, ou
quelque clique dirigeante, contrôle non seulement l'avenir, mais le
passé. Si le Chef dit de tel événement qu'il ne s'est jamais produit,
alors il ne s'est jamais produit. S'il dit que deux et deux font cinq,
alors deux et deux font cinq. Cette perspective m'effraie beaucoup plus
que les bombes - et après nos expériences des quelques dernières années,
il ne s'agit pas d'une conjecture frivole."
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