mardi 17 décembre 2024

LETTRE DE SIMONE WEIL À NATALIA TROTSKI (Présentation de la pièce)

Circonstances et lieu.



Marseille. Quinze septembre 1940. 

Simone Weil (1909-1943) et ses parents sont réfugiés à Marseille avant de devoir fuir la France pour échapper aux nazis. Ils logent au 8 rue des Catalans, face à la plage. 

Dans ces circonstances parvient la nouvelle de l’assassinat de Léon Trotski, au Mexique, commis par un agent des services russes. Elle désire exprimer ses condoléances, ou au moins sa sympathie, à la veuve, Natalia (1882-1962). Les deux femmes ne se sont rencontrées qu’une fois, le 31 décembre 1933. Ce soir-là Simone a reçu le couple, ainsi que leurs enfants, chez ses parents rue Auguste-Comte à Paris. Simone et Léon se sont ensuite croisés à plusieurs reprises, jusqu’à l’expulsion de France de ce dernier en juin 1935.

Mais au moment de se mettre à écrire, elle ne peut évacuer un trait dominant de leurs échanges : ils furent conflictuels et marqués par les oppositions entre Simone et Léon. Cette difficulté la conduira à se remémorer les situations qu’elle a traversées durant les années ’30 et les engagements de cette période.

NB. Cette lettre est imaginaire, même si Simone Weil a probablement été informée de l’assassinat de Léon Trotski, 







Personnage.

Simone, la trentaine, est habillée sans recherche.


Une page de la pièce "Lettre de Simone Weil à Natalia Trotski.

Prologue.

Intérieur simple, composé principalement d’une table occupée par des papiers dispersés et d’une chaise. Simone entre en parlant, se dirige vers la table et s’assoit.

Il faut que j’écrive. 

Lui écrive. 

Juste deux mots. Quelques phrases. Lui dire… 

Lui dire quoi ? 

Dans de telles circonstances. Un assassinat  ! 

Dont je ne connais que les détails morbides rapportés dans les journaux depuis un peu plus d’une semaine.

Une lettre, c’est la moindre des choses, mais qu’est-ce que je peux bien raconter à la veuve.

Une femme que je connais mal. 

Rencontrée… une fois … une seule.. à peine quelques heures.

Le 31 décembre 1933. 

Comme si on faisait la connaissance de quelqu’un en une soirée ! 

C’est surtout avec lui, avec Léon, que j’ai discuté ce soir-là. Si on peut appeler ça une discussion. 

Avec qui j’ai débattu. Controversé plutôt. 

Le courant est mal passé entre nous, c’est vrai. 

Avec elle. Enfin avec lui aussi. Différemment.

Mais surtout avec elle. 

Lorsqu’elle est arrivée, qu’elle est entrée, un pas derrière son mari,  je me suis dit : « Celle-là, elle est habillée en bourgeoise ». 

Une réflexion injuste. 

Stupide même, vu la situation. 

Mais après tout j’avais 24 ans… pas un âge où fait dans la dentelle. 

Elle était vêtue simplement. Avec un de ces chapeaux comme en portaient alors beaucoup de femmes. 

Pas « en cheveux », comme on disait. 

Pas du tout le genre salopette ou bleu de travail. 

Le contraire de moi, quoi.

Quelle importance, habillée comme ceci ou comme cela. Et quel rapport avec cette lettre ?

Je vais écrire à une femme dont le mari est mort. Vient d’être assassiné, il y a quelques jours. Un coup de piolet au sommet du crâne. Avant de mourir dans ses bras, le lendemain à l’hôpital.

Surtout éviter de dramatiser. Trop dramatiser. De rajouter de la détresse à la détresse.

Écrire simplement, à une personne croisée dans le passé. Qui depuis a été contrainte à s’éloigner, pire s’exiler. Et qui vit aujourd’hui une situation dramatique. Bouleversante. 

Lui dire… Ça me viendra en écrivant.

Une chose que je déteste, ce sont les lettres de condoléances. Je n’en ai jamais rédigé aucune jusqu’ici et j’espérais ne jamais m’y sentir obligée. 

Sans doute, le plus délicat est de commencer. 

Par quoi ?

Le plus direct est d’évoquer le seul moment partagé. Ce dernier jour de 1933.

(...)