vendredi 18 août 2017

LE THÉATRE RUSSE : AU PARTERRE (1927)

Le public des théâtres de Moscou n'est pas le même que celui des théâtres de province.
À Moscou... le public des scènes de Stanislavski, par exemple, n'est pas fait de bourgeois et d'intellectuels. Les femmes s'habillent pour aller au théâtre. Les places des premiers rangs (qui sont très chères, et celles des loges (6 roubles la place en moyenne) sont occupées par des étrangers et des détenteurs de cartes gratuites. On ne fume qu'au fumoir. Les entractes ont du sens et les vieilles photos sont des souvenirs. Le fil de la tradition n'est pas rompu et la soie a été refaite. Les vieux ouvreurs sont emprunts d'une dignité nostalgique. À l'arrière, aux places les moins chères, on vit les dames et les messieurs d'antan assis à l'ombre des balcons avec une vieille solennité compassée, même s'ils sont mal habillés... L'entracte sert à se rencontrer. On semble toujours s'étonner en découvrant que l'autre a survécu à la révolution. Il y a ici ou là une vieille fille toute seule, des passionnés de culture, êtres sincères, quelque peu irréels, qui semblent survivre par la grâce d'une autorisation provisoire du gouvernement...

... Le théâtre de Meyerhold vit de subventions de l'État, de cartes gratuites et de places payantes. Tous les étrangers qui visitent Moscou vont au théâtre de Meyerhold. On dit qu'il est le représentant de la dramaturgie révolutionnaire.. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser que les soirs de premières tenaient quand même de "l'évènement mondain". Ce sont les snobs - il y a un nouveau snobisme -, les critiques et les gens riches qui vont aux premières, ainsi que les représentants des institutions culturelles de l'État. Ce sont les prémisses d'une nouvelle "bonne société". Il n'y a que chez lui que les premières ont des ambiances de premières et tout ce qui va avec, les sourires faux et convenus des gens qui se connaissent bien, les poignées de main, les échanges d'opinions et les applaudissements en coulisse même s'il n'y a pas de coulisses, elles ont été supprimées ou beaucoup réduites. On commente la façon dont s’habille Mme Meyerhold, qui est actrice, le coût de la représentation, ...
... Ironie amère, les gens qui s'intéressent au théâtre de Meyerhold sont les intellectuels... Que produit le théâtre intellectuellement révolutionnaire ? Tout au plus un frémissement d'opposition.

Joseph Roth, Frankfurter Zeitung, 5 février 1927.

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